lundi 26 mai 2014

De l'expérience d'être un asticot.


   Si vous avez un personnage qui se fend d'une ultime introspection en sautant d'un immeuble/rempart/autre vers une mort prochaine, je vous arrête tout de suite. Ça ne fonctionne pas pour l'immense majorité des gens. Je le sais, j'ai essayé le saut à l'élastique.
   C'était hier.

*Flashback sur fond de musique dramatique*

    Nous arrivons sur place et par un sentier escarpé, rejoignons le haut d'un pont roman en vieille pierres qui culmine à 40 mètres du sol. L'équipe sur place prend notre réservation, puis on nous pèse. Pour une raison qui m'échappe encore, je décide de passer devant.
 
     

    J'enfile un baudrier, puis des jambières qu'on me serre tellement que le sang semble s'arrêter net dans mes jambes. Comme je préfère perdre un pied que finir écrasée en bas, je ne dis rien. On m'assoit ensuite sur une chaise à deux mètres du bord. Les mousquetons sont attachés à la fois à mes pieds et à une corde qui me retient au niveau l'estomac.
— Ça, c'est une sûreté. S'il y a un problème avec les jambières, tu finiras assise au bout de la corde, me précise le moniteur en voyant mon air curieux.
    Un second fait des nœuds avec des fils sectionnés de la corde élastique, une sorte d'épais amas de fils. Dit comme ça, ça paraît flippant mais elle était grosse comme mon avant-bras. Proportionnellement, c'est comme s'il manquait trois poils à un pinceau.


    On me fait signe de me lever et je m'approche du bord où trouve un petit tapis basculant à moitié dans le vide. En vert y est dessinée la marque de deux chaussures pour nous indiquer où nous mettre.
   Et là, au bord du pont, sans plus aucune barrière de sécurité, ça devient soudain très réel. C'est bien beau de se dire "chouette je vais faire du saut à l'élastique", c'est autre chose de réaliser que je m'apprête réellement à me jeter dans le vide. Je n'ai même pas un poids rassurant dans le dos, la corde attachée à mes pieds repose par terre. Et être alourdi au niveau des cheville avant de sauter dans le vide semble plutôt me prédire une chute mortelle qu'un sauvetage maîtrisé.

    À ce moment-là, je n'ai plus du tout conscience des deux autres grenouilles derrière moi. Il y ajuste la main du moniteur dans mon dos qui me retient gentiment par le baudrier, le poids de la corde à mes pieds et à quelques centimètres de là, rien. Que de l'air, le vide le vrai.
   En haut du pont, j'ai à hauteur des yeux la cime des pins de la forêt environnante. Et ils sont grands les pins, je songe en les suivant du regard jusqu'à leurs racines, 40 mètres plus bas, sur la rive d'une petite rivière quasiment asséchée.


    Sur le coup je me dis que je n'y arriverai peut-être pas, qu'il faudra faire passer quelqu'un avant voire me rembourser. J'ai la bouche sèche et la vague impression d'être dans un état second. Bref, j'ai la trouille.
    — Tends les bras en avant, me dit le moniteur.
Je tends les bras.
    — Fais bien attention à sauter la tête la première. Tu bascules, tu plonges, c'est comme tu veux. Mets la tête d'abord.
    Il regarde en bas pour s'assurer que les largueurs sont prêts.
    — À trois on y va.
    Ah ? Déjà ?
    — Un. Deux. Trois.
    Je saute. Ou plutôt plonge d'après les photos.

Je suis un asticot !



    J'aimerais raconter un truc du genre "j'ai eu l'impression de voler, c'était magique", ou encore "je tombais comme une pierre, c'était terrifiant".
    La réalité est un peu moins glorieuse : je n'en sais rien, mon cerveau s'est déconnecté.
    — Comment ça, tu as perdu connaissance ?
    Mais non, pas comme ça. J'ai gardé conscience (j'ai même hurlé paraît-il, flippant une certaine personne au passage), mais mon cerveau n'a pas vraiment imprimé.

    Je me souviens que mes jambes m'ont étonnamment bien obéi quand j'ai décidé d'y aller. J'ai quitté le pont et me suis élancée dans le vide. J'ai quelques microsecondes enregistrées de chutes libres tout au début, quand je voyais encore la cime des pins.
    Puis l'élastique se rétracte, me tirant brusquement vers le haut et le redémarrage se fait dans ma tête. La rivière s'est entre temps vachement rapprochée. Je rebondis plusieurs fois entre les piliers du pont, la vision floue. Je rigole très fort, suspendue à mon fil et gigotant comme un asticot au bout d'un hameçon (mais ça, c'est ma réaction normale).


    Le sang me remonte vite à la tête, ce n'est pas franchement agréable, voire limite douloureux. Heureusement, ça passe quand je regarde mes pieds (mes abdos se souviennent encore de cette brillante idée).
    Les largueurs, un peu à gauche sur la plateforme d'arrivée, me tendent alors une perche avec le noeud d'une corde au bout.
    — Attrapez-la ! qu'on me dit alors que je me balance toujours.
    La première n'est pas la bonne, je passe quelques centimètres trop loin, mais je finis par lui mettre une main dessus et on m'éloigne de la rivière. Depuis le pont tout en haut le moniteur donne du lâche à l'élastique et je suis déposée sur la plateforme.
    — Ne bougez pas.
    Aucun risque. Je reste allongée sur la plateforme tandis qu'on me retire mes jambières. D'en haut j'ai l'air d'un cadavre tout juste repêché. Je me relève, retire mon baudrier, et m'éloigne, la démarche étonnamment sûre.


    Bref, on pourra dire que j'ai fait le grand saut (hoho).

   Mention spéciale à notre paparazzi sans main à force de s'en mordre les doigts, au chat volant et au Christ rédempteur.










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